Comme vous le savez probablement déjà, ce mois-ci est un mois important pour la communauté noire. Afin de souligner les enjeux auxquels la communauté fait face encore à ce jour, nous voulions donner la parole à l'une de nos clientes étant mieux positionnée pour nous parler de sa réalité d'aujourd'hui en tant que femme noire.


Aujourd'hui nous interviewons Agnès Nekaa, une de nos clientes que nous avons eu la chance de rencontrer lors de notre dernier photoshoot. Nous avons tout simplement connecté avec sa personnalité vibrante et, puisqu’il s’agit d’un événement qui nous tient à cœur chez DRAE, nous voulions lui donner la chance d’approfondir sur le sujet et de nous faire part de son point de vue, ainsi que de son vécu.


DRAE : Donc pour commencer Agnès, pourrais-tu nous expliquer un peu plus en quoi consiste le Mois de l'Histoire des Noirs ?


A : Alors, le mois de l’histoire des Noirs veut dire beaucoup de choses ! Il a été célébré pour la première fois en 1976, aux États-Unis. C’est un mois qui vient particulièrement célébrer l’excellence noire et se commémorer le chemin que nous avons parcouru. Pour ce faire, on met en avant la culture afro par la musique, la lecture d’ouvrages abordant les accomplissements de personnalités publiques noires et puis on échange entre nous sur les diverses épreuves que nous avons à vivre dans la vie de tous les jours.

DRAE : Peux-tu nous en dire un peu plus sur les défis auxquels la communauté noire fût confrontée à l’époque ?


A : En toute honnêteté, je ne serai pas en mesure de me prononcer sur tous les défis de l’époque, mais ceux qui ont définitivement marqué notre histoire et sur lesquelles la majorité des stéréotypes et des préjugés à connotation négative ont pris naissance sont les suivants : la traite négrière, la ségrégation, le Blackface, le colorisme, le fétichisme, le manque de représentation de personne noire dans les médias, dans le domaine artistique, dans le milieu scolaire et dans le milieu du travail également.


DRAE : Puis si l’on regarde aujourd’hui, quels seraient les défis similaires auxquels la communauté noire de notre pays est confrontée encore à ce jour ?


A : La liste est horriblement longue ! Malheureusement, la source problématique de tous ces défis au Québec selon moi, c’est que notre société ne reconnaît pas assez le racisme systémique. Il faudrait que notre société se penche sur cet enjeu qui est encore omniprésent dans plusieurs institutions importantes. Il faudrait que la société prenne le temps de réfléchir à des plans d’intervention, des programmes, etc. qui visent à créer un meilleur « vivre ensemble ». Ceci est un gros enjeu pour ma communauté étant donné que le système est préconçu par des idéologies qui visent à nous faire passer pour des déscolarisés, des membres de gang de rue ou autres qui peuvent entraîner des situations fâcheuses liées au profilage racial par exemple. Les leaders politiques de notre pays devraient utiliser leur influence sur la société afin d’aider la communauté noire dans ces défis et ainsi leur donner la chance d’avoir une meilleure qualité de vie.


De plus, je dirai qu’un de mes défis personnels est le mauvais réflexe de parfois me remettre en question face à l’Homme blanc. En plus d’être constamment en train de démystifier tous les stéréotypes sur les hommes et les femmes noires. À chaque fois que je passe une entrevue pour un emploi, malgré mon historique et mes compétences, je me demande si à cause de ma couleur de peau et des préjugés qui y sont rattachés, ils remettront en question ma qualification. Cette pensée me suit au quotidien. D’après moi, nous sommes freinés sur plusieurs sphères de nos vies à cause des médias et des films qui ne présentent pas souvent une image positive de ma communauté.


DRAE : Si tu es à l'aise de nous en parler un peu plus, pourrais-tu nous dire ce que c'est pour toi d'être une femme noire au quotidien ? Y a-t-il encore des injustices que tu subis de façon régulière ou occasionnelle?


A : J’ai énormément de choses à dire pour cette question. Un jour je lisais un livre rédigé par un homme incroyable et qui a beaucoup influencé mon domaine d’étude, ainsi que la femme que je suis aujourd’hui. Il s’agit du docteur Denis Mukwege, un gynécologue et activiste qui a dédié sa vie aux femmes à l’est de la RDC (République Démocratique du Congo) qui sont victimes de sévices sexuels employés comme arme de guerre. Il a de plus créé la « Cité de la joie », un établissement où il soignait et sauvait avec son équipe des milliers de femmes pour plus de 20 ans. Je l’ai découvert durant ma quête identitaire à l’âge de 15 ans. Puis, à force de lire des ouvrages et de regarder des documentaires sur son dévouement auprès des femmes qu’il a pris sous son aile, j’ai enfin commencé à réaliser la charge émotive et sociale que ça comprend d’être qui je suis dans ce monde.


Je suis une femme, noire et africaine. Je suis la personne la plus oppressée dans ce monde pour ces trois caractéristiques qui sont totalement hors de mon contrôle, mais qui définissent drastiquement ma personne. Les gens me collent directement une étiquette parce que je suis originaire du continent le plus pauvre et paradoxalement le plus riche sur cette terre.


Il y a une image péjorative qui circule concernant la femme noire africaine depuis longtemps. Apparemment, nous sommes soumises à nos époux, analphabètes et passons notre temps à nous reproduire pour que nos enfants finissent dans la rue à mendier.


Être une femme noire africaine veut dire que tous les jours je m’attends à devoir éduquer un individu sur les injustices que subissent les femmes en général, les noirs ET les Africains! Lorsque j’entends encore aujourd’hui des commentaires du genre « Ouin, les femmes de l’Afrique de l’Ouest sont toutes soumises, comme les otages de Boko Haram (Groupe terroriste nigérian) », je pousse de très longs soupirs de découragement.


Malgré tout, je ne changerai ma place pour rien au monde. Depuis que Agnès de 15 ans a ouvert les yeux et acceptée ses origines, son sexe et sa couleur de peau, elle ne passe son temps qu’à apprendre et s’instruire sur le sujet. La femme noire, africaine ou pas, est dotée d’une résilience inhumaine. Je trouve que la vie nous a façonnée de manière à ce que, peu importe les obstacles qui nous sont présentés, nous en ressortions comme des guerrières. Il n'y en existe pas deux comme nous !


DRAE : Nous pouvons imaginer que cette réalité n’est pas évidente pour toi. Dirais-tu cependant avoir observé une amélioration au niveau de l'inclusion de la communauté noire comparativement à ton enfance ?


A : Définitivement, oui ! L’amélioration n’est pas flagrante selon moi, mais elle est là. Je trouve qu’il manque encore beaucoup de représentation dans les médias québécois, par exemple. J'aimerais que mes enfants un jour puissent s’identifier à des hommes et des femmes noirs sans avoir à interpréter le rôle du méchant ou d’un stéréotype à connotation négative.


Nous sommes encore loin du résultat voulu, mais je reste optimiste. Je trouve également que la femme noire embrasse enfin sa beauté. Il y a beaucoup de comptes sur Instagram qui partagent des images de la femme noire à son meilleur jour, et je trouve ça génial. C’est triste à dire, mais je trouve que c’est une belle manière de me venger des non-noirs qui me disaient que la femme noire était laide ou pas intelligente quand j’étais au secondaire…


DRAE : Nous pouvons imaginer la frustration dans cette incompréhension encore présente aujourd’hui pour la communauté noire. Et donc, pour aider les gens à vous aider à diffuser le message d'inclusion et d'égalité, y a-t-il quelque chose que tu pourrais leur suggérer ?


A : Soyez à l’écoute ! L’écrivaine Naomi Fontaine a écrit dans son ouvrage Shuni. Dans son ouvrage, il y a un passage qui a beaucoup résonné en moi : « Si tu veux vraiment aider les Innus, et je crois que tu le veux, pourquoi ne pas commencer par leur demander ce que tu pourrais faire pour eux. » Elle s’adressait à une amie d’enfance, Julie, une femme blanche, qui voulait porter son aide aux Innus.


Je pense que beaucoup de gens veulent aider et être des alliés. Cependant, ce n’est pas en imposant ses propres idées qu’ils vont se rendre utiles et faire une différence comme plusieurs peuvent le penser. Il faut être sur le terrain et écouter, récolter les témoignages pour savoir par où commencer. Ces personnes sont les mieux qualifiées pour savoir de quoi ils ont besoin.


De plus, les inégalités et les formes de discrimination que nous subissons au quotidien sont perpétuités par une société façonnée à l’image des volontés de l’Homme blanc. Donc, les hommes et les femmes blanches n’ont pas le choix de se sentir concernés par tout cela, puisque ce sont des gens qui me ressemblent qui subissent les conséquences des actions qui ont été ou qui sont posées par des gens qui leur ressemblent. Trop d’individus sont encore confortables dans leur ignorance et il est primordial de sortir de ce déni pour faire face aux problèmes et écouter les solutions que ma communauté souhaite mettre en place.


DRAE : Alors, où pouvons-nous obtenir plus d'informations à ce sujet et sur des sujets connexes ?


A : Bien évidemment, les réseaux sociaux sont une source d’informations primaires pour beaucoup de gens. Donc, je vous encourage fortement à suivre ces pages qui adressent différents enjeux qui touchent les membres de ma communauté sur Instagram ;

@wokeorwhateva@me_belton@sally; @blackgirlsfromlaval; @blackgirlsgathermtl; @femmes.modernes; @thegemtalkpodcast; @blackmontrealcreatives; @renzel.dashington; @lautotherey; @thierrylindor et tout pleins d’autres!





Karine Vasco

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